La peur de nager en mer concerne tous les nageurs, confirmés ou amateurs. Quand elle s'installe, il est difficile de se raisonner. Nicolas revient sur son expérience au Tri-Relais de La Baule.

Nager par grosse houle, faire un départ à coup de pied et coup de poing et boire la tasse (mais continuer à nager pleine balle), c’est ce qui fait aimer la nage en eau libre. Alors pourquoi ? Oui, POURQUOI ? Pourquoi j’ai fait la plus mauvaise perf de natation de toute l’humanité sur 500m ? Autopsie d’un naufrage, quand la peur de l’eau libre s’installe. 

Bien préparé, tout est planifié

Comment refuser l’invitation d’un très bon ami à participer au Tri-Relai de la Baule ? Besoin d’un nageur ? pas de problème, j’arrive. J’ai nagé une bonne partie de l’été en eau vive (mer, océan, lac) et je vise une sortie dans les 50-60 premiers (sous condition d’un bon départ). Ambitieux, mais atteignable. Un ami m’a en plus prêté une combinaison de folie pour cette épreuve et je compte bien lui faire honneur.

Tout est sous contrôle

Le jour de l’épreuve, la pluie et le vent s’étaient donnés rendez-vous dans la baie de La Baule pour donner du piquant à une course rendue déjà corsée par le nombre partants : 2000 participants pour un départ toujours riche en bagarre. Les commissaires recommandent la plus grande prudence sur natation qui va être difficile à négocier. Cool ! les nageurs vont enfin être avantagés. Tous les indicateurs sont au verts et l’envie d’aller boxer dans l’eau est bien là. Tout baigne.

Départ soudain, tu prends un pain

Le départ est long à venir. Trop. Si bien que quand le coup de feu résonne, personne autour de moi ne réagit. Et c’est en voyant partir une trentaine de personnes sur notre gauche et une vingtaine sur notre droite que l’on se dit que ce serait le bon moment pour décoller les lunettes de nos fronts et de rattraper le reste de la meute. C’est donc avec 15 mètres de retard qu’on prend le départ. La nature ayant horreur du vide, l’espace qui devait être le nôtre à l’entrée dans l’eau est immédiatement occupé par tous les autres nageurs partis avant nous : c’est donc un coup de talon dans la gorge et un autre dans le plexus qui m’accueillent à la réception du plongeon dans la première vague. « Vas-y mon petit respire ! » Mais là non, c’est pas possible ! et pourtant il faut bien avancer. La bastonnade attendue est bien là, la fête peut commencer.

Une mer de Néoprène et de chair humaine

Difficile de mettre les mains ailleurs que sur du néoprène ou de la chair humaine (visages, pieds, mains, désolé les gars). Rien de grave. Les vagues que l’on nous avait promis nerveuses sur les 50 premiers mètres (uniquement les 50 premiers mètres, hein) tiennent leur promesse : impression de nager sur place, voire de reculer. A chaque respiration, un peu d’eau rentre dans la bouche jusqu’à ce que ça devienne très gênant.

« C’est l’asphyxie »

Et puis comme attendu, je bois la tasse. Une fois : « ok je peux encaisser encore 3 mouvements de bras avant d’avoir besoin de respirer. En attendant, je gère les haut le cœur et l’eau salée qui fait des va et vient entre le nez et le fond de la gorge ». Deux fois : « ça devient tendu là. Il va falloir vite respirer parce que je commence à voir beaucoup d’étoiles dans mon champ de vision ». Avec une respiration déjà coupée par les coups reçus, il faut vraiment que la prochaine respiration soit la bonne. Au moment de virer la tête pour respirer : une vague remplit ma bouche, c’est l’asphyxie. L’eau va en trop grande quantités au fond de la gorge et du nez. Tousse. Suffoque. Geste réflexe : je me mets sur le dos pour vider l’eau de ma gorge et faire rentrer un mélange presque satisfaisant d’air et d’eau salée ; par les narines ou la bouche, peu importe tant que ça rentre. C’est à ce moment qu’une vague vient frapper notre groupe de nageur. Je suis rejeté contre un concurrent qui était sur le ventre, face à face. Lui en bas de la vague, moi qui viens du haut. Impossible de nager sans percuter une jambe, un visage ou un bras.

Encore et toujours des vagues

Il faut se remettre en place et continuer, mais il est impossible d’installer une nage propre. Mon bassin est plombé au fond l’eau et je n’arrive pas à tourner les épaules. J’ai l’impression de nager à la verticale, les bras écartés et en n’ayant aucune garantie de pouvoir respirer quand je n’aurais plus d’air. Encore des coups, encore des vagues, et aucune chance de m’extraire de cette marée humaine. 

« Tu vas terminer bêtement ta vie pour nager un petit 500m, mon vieux »

Pire, si je suis en détresse, personne ne le verra dans cette masse. La hauteur des vagues nous masque à la vue des arbitres, des commissaires et surtout des équipes de secours. Toujours en recherche d’air, je sens la combinaison qui m’oppresse la cage thoracique. Et j’émets des sons gutturaux que je ne connaissais pas. Trop d’eau dans mon corps et pas assez d’air. Mon corps est pris de secousses. Panique. La peur s’installe et devient incontrôlable. Je me vois en train de me noyer : « tu vas terminer bêtement ta vie pour nager un petit 500m, mon vieux ».

PANIQUE ! PANIQUE !!!

Inconsciemment, j’essaie d’écarter la combinaison qui m’écrase les poumons, l’eau s’engouffre entre le néoprène et ma peau. Le froid s’ajoute au manque d’air et aux coups de poings et de pieds. J’arrive à respirer un peu malgré tout. Il faut que je sorte de ce traquenard, coûte que coûte, en oubliant tout fairplay : j’écarte les pieds qui se trouvent sur mon chemin, j’enfonce le coude de ceux qui changent de direction et me freinent. « Désolé les gars, j’espère que je ne vous cause pas autant de tort que j’en ai en ce moment », mais la raison avait quitté mon esprit. Nager moins vite m’exposait à me faire grimper dessus par les suiveurs, nager sur le dos me conduisait au choc. Pas d’autre choix que d’avancer… à s’en faire péter les poumons. On n’a même pas fait 200 mètres bon sang, et j’ai l’impression d’avoir nagé 3,8km !

Traquenard à la bouée

Vient ensuite le passage de la première bouée : rester à l’intérieur du virage et se prendre tous les coups ? Ou faire le sacrifice d’un petit crochet supplémentaire qui garantit un peu de confort de nage ? Un rapide coup d’œil en avant me permet de voir qu’aucune option n’évite la bousculade. Je décide de rester sur ma ligne et de m’engouffrer à l’intérieur du virage. Et là je ne suis pas déçu. Non content de recevoir la pluie de coups de coudes promise, je me retrouve poussé sous la bouée. Il devient alors impossible de sortir les bras de l’eau pour nager, et impossible de respirer. Mon visage s’écrase sous la bouée, l’eau rentre évidemment massivement par le nez et la bouche, mais ça… il faut s’y habituer non ? Il faut trouver une solution et c’est la moins prudente qui apparaît la plus logique : plutôt que de lutter pour respirer, autant plonger pour se dégager de la bagarre et espérer retrouver de l’air de l’autre côté de la bouée. Et ça marche ! Disons qu’au moment de sortir la tête de l’eau, personne ne m’enfonce la tête sous l’eau et peu d’eau rentre au fond de la gorge.

« Je m’entends pousser des cris de panique dans l’eau »

Toujours optimiste, je compte sur un étirement du peloton après le passage de la première bouée, et ainsi avoir plus d’espace entre les nageurs. Mais nous voilà tous en train d’encaisser les vagues de côté. Nous sommes donc à présent tous jetés les uns contre les autres par la gauche. Il m’était à nouveau impossible d’installer ma nage comme je me l’étais imaginé.

J’arrive un peu mieux à respirer, mais de manière incontrôlable. Je m’entends pousser des cris de panique dans l’eau et régulièrement j’écarte la combinaison de mon torse en espérant pouvoir mieux respirer. Puis, je m’aperçois que je n’actionne pas mes jambes pour la propulsion (juste pour l’équilibre), raison pour laquelle mon bassin était si profond dans l’eau, avec l’impression de nager à la verticale. J’essaie d’y remédier, mais je suis assez marqué par mes premiers efforts et rien n’y fait, je ne parviens pas à reprendre la main sur ma nage… J’ai l’impression de faire atterrir un avion avec les moteurs 1 et 2 en feu et sans carburant.

La fin du calvaire ?

La plage arrive enfin et il faut rejoindre l’air de transition. Après m’être extrait de l’eau j’aperçois sur ma droite des pompiers qui raniment une personne allongée sur le sable. Ambiance. Je continue la course en remontant sur le remblai. Je vois mes deux petits garçons qui m’encouragent, alors je fais bonne figure en redonnant un coup de collier. Pas la peine de dézipper la combi. Je n’ai pas de vélo à gérer derrière, et chaque seconde compte pour l’équipe qui va rentrer en action Vélo et Course à Pied. Un dernier sacrifice pour le team et je pourrai cracher tout ce que j’ai dans les poumons ! Une glissade sur une bande blanche de signalisation, et j’arrive enfin au passage de relai où mes deux équipiers m’attendent. Alain part pour les 20km de vélo. Il ne sait pas encore qu’une belle chute l’attend quelques kilomètres plus loin. Fabrice fera une course à pied. De mon côté, épuisé par (seulement !) 500m, je m’accroche aux ganivelles et finis par terre, les yeux perdus dans le vide.

La morale

La morale de cette histoire ? Elle m’est donnée par ma voisine de dossard. Elle est revenue presque en même temps que moi et a donc vécu une course très similaire à la mienne à l’exception du départ. Et pourtant, c’est un sourire franc et radieux qu’elle affiche sous cette pluie de septembre. Elle était ravie de sa natation. Quelle différence entre sa course et la mienne ? Elle n’avait pas moins de vagues que moi, et a reçu certainement autant de coups que moi. Et pourtant elle était heureuse.

« J’ai pris le départ d’une course qui ne pouvait pas arriver »

Selon moi l’explication est la suivante : elle n’attendait pas autre chose que de s’amuser. Moi, je m’étais mis un objectif avec un scénario et des actions précises pour réaliser ma course idéale. Pour ma voisine, tout pouvait arriver sans problème tant qu’elle partageait sa course avec ses cousins. Tout évènement de sa natation allait devenir une expérience, un souvenir, quelque chose qui allait enrichir l’aventure. Dans mon cas, tout élément étranger au scénario pré-écrit devenait une difficulté supplémentaire à gérer, un élément déstabilisant qui a fini par produire la panique. Si bien que j’ai pris le départ d’une course qui ne pouvait pas arriver. J’en conclue qu’il faut rester ouvert à l’impondérable, car il arrive à tous les coups. Se mettre en dispositions pour établir une performance, c’est bien sûr se préparer physiquement, mais aussi savoir réagir à l’imprévu. C’est donc ce que j’intégrerai la prochaine fois, sans revoir mes objectifs à la baisse, en restant en éveil et en accueillant l’improbable avec enthousiasme. 

Nicolas, créateur en slip de bain

Nicolas est le fondateur de MySwim.fr et il est tombé dans l'eau à 6 ans.

Il n'en sort plus que pour préparer ses prochaines courses et avoir le plaisir de faire des rencontres dans le monde de la nage : Natation Indoor, Triathlon, SwimRun, Nage en Eau Libre, il goûte à tout et aime partager de beaux moments.

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